Lundi 9 avril 2018, le Président de la République française, Emmanuel Macron, a prononcé un discours fleuve devant la conférence des évêques de France, au cours duquel il se dit « partager confusément le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et qu’il nous importe de le réparer » (source : www.elysee.fr). Les voix de la gauche n’ont pas tardé à se faire entendre pour dénoncer une atteinte au sacrosaint principe constitutionnel de laïcité, certains qualifiant le Chef de l’Etat de « chanoine » ou de « sous-curé », d’autres affirmant que « l’Eglise n’a jamais été bannie du débat public » et s’interrogeant : « Quel lien restaurer avec l’Etat ? ». Par ce billet d’humeur, nous souhaitons rappeler quelques vérités historiques pour éclairer cette question.
Doit-on rappeler que l’une des premières mesures révolutionnaires fut, le 2 novembre 1789, de confisquer les biens du clergé pour les mettre au service de la Nation ? Outre l’atteinte au principe de propriété, il en résulta une catastrophe culturelle : de nombreux édifices religieux d’une valeur patrimoniale inestimable, dont la prestigieuse abbaye de Cluny, furent démontés pierre après pierre et vendus au profit de marchands de biens.
A-t-on oublié que les députés de l’Assemblée constituante, moins d’un an après la prise de la Bastille, ont voté la Constitution civile du clergé, réorganisant unilatéralement le clergé pour créer une Eglise nationale au service des idées de la Révolution, condamnée par Pie VII ? Les prêtres réfractaires furent sommés de quitter le territoire national sous 15 jours. Ceux qui restèrent furent persécutés et guillotinés au nom des principes de liberté, d’égalité et de fraternité.
Nous souhaitons encore citer un florilège de ces lois antichrétiennes pour démontrer toute la créativité du régime révolutionnaire : interdiction du port de la soutane en dehors des fonctions religieuses (12 août 1792), interdiction des processions et manifestations religieuses sur la place publique (16 août 1792), réquisition des bronzes d’église pour l’armée (17 août 1792), remplacement du calendrier grégorien par le calendrier républicain éliminant les dimanches et substituant la naissance du Christ au premier jour de la République (24 octobre 1792), possibilité pour une commune de renoncer au culte catholique (6 novembre 1792)…
Le Concordat de 1801 apaisa pour quelques temps les relations entre l’Eglise et l’Etat et poursuivit l’objectif de réparer les injustices passées. Mais le répit ne fut que de courte durée.
Est-il nécessaire de redire que la IIIe République vota les décrets les plus iniques contre l’Eglise catholiques ? Le décret du 29 mars 1880 dissout et expulsa la Compagnie de Jésus, et obligea par la suite toutes les congrégations à déposer leurs statuts pour recueillir l’accord de l’Etat, faute de quoi elles seraient elles-mêmes expulsées. Ces expulsions provoquèrent des cas de conscience : 200 démissions des membres du parquet, démissions d’officiers, de commissaires et d’agents de police. 261 couvents furent fermés et 5 643 religieux expulsés. Vingt et un an plus tard, la loi de 1901 sur les associations soumit les congrégations à un régime d’exception : les congrégations devaient être autorisées par la loi, les religieux des congrégations non autorisées furent interdits d’enseigner, les comptes et l’inventaire des congrégations furent mis à la disposition du préfet. En 1903, 1 689 maisons de sœurs enseignantes, 225 maisons de prédicantes et les Chartreux furent expulsés, soit près de 15 000 religieux.
La loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905, que beaucoup invoquent comme « le » grand texte juridique faisant foi en la matière ne fit que couronner les gloires révolutionnaires et anti-religieuses du siècle précédent, et parachevèrent les efforts menés depuis 1789 pour détruire l’Eglise catholique : les ministres des cultes ne furent plus rémunérés par l’Etat, les églises devinrent des associations culturelles, les biens religieux spoliés par l’Etat en 1789 restèrent en sa propriété, les processions furent assimilées à des réunions publiques et soumises à déclaration préfectorale au titre de « la liberté de réunion ». Cette loi fut violemment critiquée par Pie X dans Vehementer nos en 1906. La loi de 1905 imposa la mise en place d’inventaires des biens qui fut sans doute sa conséquence la plus douloureuse et mena, une fois de plus, la France au bord de la guerre civile : les bibliothèques des paroisses, évêchés et séminaires furent saisies par l’Etat et confisquées à différentes bibliothèques publiques : une pratique digne des plus grands régimes totalitaires… mais dans un pays sur lequel flotte l’ombre d’une devise démocratique.
Alors oui ! Non seulement le lien entre l’Eglise et l’Etat a été « abîmé » depuis 1789, mais au regard des faits historiques, ce terme résonne comme un euphémisme. Depuis plus de 200 ans, la religion catholique a subi les plus grandes humiliations, les plus odieuses violations de ses droits. Outre l’Eglise catholique comme institution, c’est tout l’ordre social qui s’en est trouvé détruit, à une époque où la société était rythmée par les offices et les processions, et où le code de droit canonique dirigeait les rapports entre Etats. Ce sont aussi tous les fidèles catholiques qui souffrirent de voir leurs pasteurs, leurs cérémonies et leurs églises mises à mal. A tous ceux qui se réfugient derrière la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905, nous pouvons affirmer qu’ils ne voient que la face visible de l’iceberg car, au début du siècle passé, le mal avait déjà été fait. Y’a-t-il un lien à restaurer entre l’Eglise et l’Etat ? La réponse est certainement « oui ». La prise de conscience des erreurs du passé par nos élites serait déjà un premier pas vers cette restauration.
Jeunesse chrétienne, n’attendons pas que les discours politiques se traduisent en actes – si cela arrive un jour – mais saisissons chaque occasion pour défendre et faire aimer l’Eglise, soyons attentifs à l’actualité politique et à toutes les décisions qui touchent de près ou de loin les vérités immuables de la foi, maîtresse de vérité, et sachons sensibiliser nos responsables politiques par les moyens que nous offre la loi.
Philippe Sangnier
* Les opinions exprimées n’engagent que leurs auteurs.