Nos Ancêtres accordaient à la fête religieuse de Noël ou « Chrichdaa » une importance primordiale. Noël était précédé d’une période de réflexion et d’introspection spirituelle, de jeûne et d’abstinence
L’Avent
l’Avent du latin « Adventus Domini » qui veut dire « attente de notre Seigneur« . Cette période du calendrier liturgique fut fixée définitivement en 1570 par le pape Pie V à quatre dimanches précédant Noël et non six comme l’exigeait la tradition au Moyen Âge, qui faisait débuter l’Avent au 11 Novembre, fête de la Saint Martin. Jusqu’au concile Vatican II, l’Église ne célébrait pas de mariages durant cette période, et toute activité ludique était proscrite.
Ce message, d’attente et de préparation spirituelle, est symbolisé par la couleur liturgique violette, également utilisée au temps de Carême. Des messes, appelées « Rorate Messen » sont célébrées le samedi matin au lever du soleil, dans une église seulement illuminée de bougies en l’honneur de la Vierge Marie. On y chantait l’hymne à la Vierge Marie « Rorate caeli« .
Ces traditions religieuses séculaires ont été enrichies de nouvelles coutumes venues des pays protestants. La couronne de l’Avent formée de quatre bougies, est une tradition venue de Hambourg en Allemagne du Nord, imaginée en 1839 par Johann Heinrich Wichern un pasteur protestant, fut acceptée tardivement par l’Église catholique dans les pays germaniques (Allemagne et Autriche) dans les années 1930. La couronne était garnie de trois bougies violettes, et une de couleur rose pour le dimanche « Gaudete« . Dans beaucoup d’églises d’Allemagne, elle est bénie. Elle se diffusa de Sarre, en Moselle-Est par le truchement des marchés de Noël dans les familles catholiques à partir des années 1970.
Une veillée de Noël au milieu du XIXe siècle
Jusqu’au 24 décembre inclus, nos ancêtres pratiquaient un jeûne en s’abstenant de manger de la viande avant la messe de minuit. Il n’y avait pas de réveillons particuliers. La journée du 24 décembre, veille de Noël était tout à fait ordinaire avec des travaux de préparation des fêtes de Noël par les adultes. Dans la soirée, les familles se réunissaient autour de la cheminée de la pièce principale. Dans la région de Bouzonville, on rajoutait trois chaises symboliques pour que Marie, Joseph et l’enfant Jésus puissent venir se chauffer. On pouvait consommer dans la soirée, une soupe, un met léger déguster des biscuits de Noël ou boire du vin chaud à la cannelle. Jeunes et adultes veillaient jusqu’à 11 h 30, heure de départ à la messe de minuit. Au préalable, le père de famille bénissait avec de l’eau bénite et du vin, une bûche de bois de noisetier choisie durant l’été, appelé « Christbrand » qui, brûlée dans la cheminée, devait se consumer dans l’âtre. Ces cendres étaient ensuite réparties aux quatre coins de la maison, dans les champs pour protéger animaux et cultures des mauvais esprits et des sorciers. Les paysans mettaient un sac de grains de blé devant la porte pour que celui-ci se fasse bénir par l’Enfant Jésus ; les enfants en attendant minuit pratiquaient un jeu en prenant du bois calciné de l’âtre fixé à une cordelette au plafond de la pièce. L’on essayait de souffler sur le bois pour qu’il touche le visage du voisin et le noircir. Le perdant du « Kohlespiel » se voyait noircir son visage par le gagnant et se devait de céder son morceau de gâteau.
L’on nourrissait les animaux à l’étable, en leur donnant un peu de sel et du foin. Le bétail était obligatoirement nourri dans la mangeoire. Il devait se tenir debout car l’on croyait que, selon les saintes écritures, le bétail pouvait comprendre la parole de l’enfant Jésus et on leur attribuait des vertus miraculeuses. Dans mon village, à Rosbruck, on libérait les animaux pendant la messe de minuit, pour qu’ils puissent communiquer entre eux et vénérer l’Enfant Jésus. Cette tradition perdue vers 1880, entrainait un grand désordre dans le village car vers deux heures du matin, il fallait retrouver son bétail qui divaguait, ce qui n’était pas chose aisée surtout par temps de neige !!! Beaucoup d’habitants se contentaient de donner de la nourriture aux animaux à l’étable. Lorsque sonnaient les cloches de la messe, tous se rendaient à l’office de Noël qui durait jusqu’à deux heures du matin. Seuls les malades et les très jeunes enfants, le personnel de ferme, restaient à domicile. De nombreuses lanternes scintillaient de mille feux dans la nuit, donnant à cette promenade vers l’église, parfois dans la neige une magie particulière. L’église brillait de mille bougies, avec une belle crèche installée dans le chœur. La messe tridentine, symbolisée par la couleur blanche ou jaune or des habits sacerdotaux, proposait une liturgie très belle, empreinte de dignité et de symboles. On y interprétait à partir du XIXème siècle de nombreux cantiques de Noël en allemand durant la deuxième voire troisième messe de la nuit, entre autres après 1840, le très célèbre « Stille Nacht« , composé en 1816 par Joseph Mohr, prêtre à Oberndorf près de Salzbourg en Autriche.
Après l’office, les fidèles se congratulaient et, arrivés à domicile, mangeaient de la charcuterie souvent du jambon fait maison consommé selon la parole biblique « Und das Wort ist Fleisch » (Le « Verbe s’est fait chair« ). Les enfants les plus âgés encore exceptionnellement debout découvraient dans les sabots et chaussures déposées près de la cheminée, plus tard dans des assiettes sous le sapin quelques rares jouets, voire des pommes et des noix apportés par l’Enfant Jésus, ou « Christkindche« .
Le Christkindche
Ce personnage fut créé par Luther au XVIe siècle pour concurrencer le culte de Saint-Nicolas refusé par le protestantisme. Cette tradition se diffusa aussi au XVIIIe siècle dans les campagnes catholiques d’Allemagne et d’Autriche, en Alsace et Lorraine allemande.
Dans certains endroits le « Christkindche » apparaissait en personne. Il s’agissait le plus souvent d’une jeune fille de blanc vêtue, le visage voilé à l’orientale et portant une couronne sur la tête, à la fois ange et Enfant Jésus qui se manifestait par la sonnerie d’une clochette ou un bruit très fort. Parfois ce personnage mystérieux, souvent un membre de la famille, entrait dans les foyers. Les enfants, tombaient à genoux, récitaient une prière ou un poème. « Christkinche » admonestait les enfants les moins sages, même les adultes, puis remettait des assiettes de friandises ou quelques jouets en bois. Des semaines précédentes Noël, les enfants scrutaient le ciel et lorsqu’il avait une tonalité rouge, les adultes affirmaient que l’Enfant Jésus « backt Kuche » (fait du gâteau). Dans certains villages du pays de Bitche, des servants de messe, appelés « Weihnachts buben« , déguisés en bergers parcouraient les rues des villages dans la nuit de Noël après la messe de minuit, en s’écriant « O Christ wach auf » (« Seigneur réveille-toi »).
Noël, une fête religieuse majeure
La paroisse jouait un rôle essentiel dans la société rurale et traditionnelle. C’est dans ce cadre que s’organisaient la journée et le calendrier agraire durant l’année, rythmée par les fêtes religieuses qui étaient aussi des moments de repos, de convivialité et d’affirmation identitaire.
Les 25 et 26 décembre étaient des jours fériés majeurs que l’on respectait, malgré la préparation du repas et de la visite de nombreux invités. Une assiette était rajoutée symboliquement à celle des convives annoncés, pour l’étranger de passage. Les fidèles se rendaient nombreux aux messes du matin et aux vêpres. Le 26 décembre, jour de la Saint- Étienne ou « Stefensdaa » patron du diocèse de Metz, il était de tradition de bénir l’avoine. Le 28 décembre, « Aux Saints Innocents« , on bénissait les enfants nouveaux nés de l’année après la messe solennelle ou aux vêpres. À l’occasion de ces cérémonies, les jeunes mamans présentaient, leur progéniture à l’Enfant Jésus dans la crèche. Ceux des fidèles qui, assistaient aux trois messes du jour de Noël , à celle de minuit, celle des bergers ou « Hirtenmesse » et à la grand-messe étaient assurés de grâces particulières dont celle de n’avoir aucun accident durant l’année.
Les chants traditionnels qui forgent une identité
De retour des offices, les familles chantaient des chants de Noël, le plus souvent des cantiques religieux allemands extraits de livres de messes ou de prières, ou ceux, souvent bien plus anciens transmis oralement par la tradition populaire.
La Nativité jouait un rôle essentiel dans le répertoire musical de Moselle germanophone. La plupart des chants collectés par l’abbé Pinck et composés en Lorraine allemande rappellent les mystères du Moyen Âge, et insistent sur deux thèmes majeurs : le dénuement de l’Enfant de la crèche et le Christ qui s’est fait homme pour partager notre destin. L’image donnée de Jésus dans la crèche est conforme à celle de l’imagerie populaire d’un enfant né dans une nuit glaciale, dans une pauvre étable, nu sur la paille, entre l’âne et le bœuf qui le réchauffaient de leurs souffles : « Das Kindlein liegt in einem Stall, ganz nacket und bloss. Wie zitterst du vor kälte,Vor Regen und Wind, der Esel dort bei Ihm das Kind. Auf Heu und Stroh das holde Kind ». Seuls les bergers, les mages et les anges ont vénéré l’Enfant. Ces chants populaires d’inspirations religieuses, sont conformes à l’évangile de Saint -Luc. Ils furent certainement interprétés à l’église avant la diffusion de missels diocésains et se trouvèrent alors confinées à la sphère familiale lors de copieux repas de Noël faits de viande, de volailles, de charcuterie de pomme de terre et de sucreries (Spritz), de gâteaux à partir de fruits secs ou de veillées.
Le sapin de Noël
La tradition du sapin (épicéa) de Noël se répand dans l’espace germanique dès le XIVe siècle et apparait en Alsace vers 1521. Elle n’a, à l’origine, aucune symbolique christique, n’en déplaise à certains qui y voient une atteinte à la laïcité. Le sapin avec sa verdure était avant tout, le signe du renouveau et de la lumière chez les tribus germaniques avant la christianisation, dans une période sombre de l’année où les jours ne se rallongent que très lentement après le solstice d’hiver du 21 décembre. Au Moyen Âge, l’Église l’accepte comme signe de lumière de l’Enfant Jésus naissant.
La tradition du sapin était inconnue en Lorraine et fut introduite en Moselle par les Allemands vers 1880-1890. Les premiers sapins qui décoraient les salons de la bourgeoisie étaient garnis de noix enveloppées dans un papier brillant, de cheveux d’anges, de biscuits, de guirlandes découpées dans un papier argenté et de bougies. Les boules de Noël apparaitront au début du XXe siècle, la décoration électrique après-guerre. Installé le 24 décembre dans le salon, dans la « gudd Stubb » par les adultes, il était caché aux enfants jusqu’à l’arrivée du « Christkindche » dans la soirée. Après 1890, les enfants venaient y déposer leur assiette. Le sapin ornait généralement la maison jusqu’à la chandeleur « Maria Lichtmess » le 2 février, fin du temps de Noël. Lorsqu’il était démonté, cet arbre était jeté par la fenêtre, et non pas transporté à l’extérieur par une porte, car cela portait malheur.
Conclusion
Après ces quelques réflexions, que peut-on penser de ces traditions ? Noël était, pour nos ancêtres, une fête avant tout religieuse que l’on célébrait dans la simplicité familiale. Les quelques modestes cadeaux offerts aux enfants n’étaient pas l’essentiel. Les quatre dimanches de l’Avent se déroulaient dans le calme et la simplicité. Il n’y avait pas de commerce et de magasins ouverts à tout va, bénis par la figure de père Noël, et engendrant un stress, inutile et stupide aux antipodes du message christique initial de Noël. Cette marchandisation de Noël vidé de toute symbolique religieuse entrainera à moyen terme sa disparition.